A mort !
- Sergio
- 28 avr. 2020
- 2 min de lecture
Quelle frénésie! Quelle ardeur à réclamer la mise à mort du gladiateur ! Notre pouce nous démangerait presque. Nous sommes au plus près de la scène et c’est Jean-Léon Gérôme (1824-1904) qui nous convie au spectacle.
A grand renfort de détails réalistes, il nous donne le sentiment d’être les témoins directs du passé. Il faut dire qu’il s’est beaucoup documenté, à grand renfort de photographies d’armes et de casques découverts à Pompéi. La reconstitution archéologique se veut minutieuse, jusqu’aux raies de lumière traversant les bandes du velum.

Gérôme sait mettre l’histoire en récit. Il a un sens aigu de la mise en scène et du macabre. Les vestales en furie réclament la mort du vaincu. Nous sommes suspendus au geste du gladiateur: tuera, tuera pas ? Accès VIP à l’exécution qui se prépare. Rome dans toute sa splendeur et sa cruauté.
C’est pompeux. C’est coloré. C’est pompier.
Nous avons pourtant manqué le combat et serons définitivement privé de la mise à mort. Deux moments d’apogée qui nous passent sous le nez.
Mais c’est justement ce qui caractérise la peinture de Gérôme: sa redoutable efficacité narrative. Il choisit de représenter le moment en amont ou en aval de l'instant fatidique. Juste un peu trop tôt. Ou juste un peu trop tard. Il laisse le champ libre à notre imagination pour reconstituer le fil des évènements. Quelques indices enfouis dans le sable en font deviner les grandes lignes. Et ni vu, ni connu, c’est tout le film qui se déroule dans nos têtes. Veni, vidi, mais pas vici.
Gérôme pratique un art consommé de l’ellipse et du décentrement narratif. Il crée des images percutantes qui s’ancrent durablement dans les mémoires. Avec lui, le thème des jeux du cirque fait une entrée remarquée en peinture. Ces toiles inspireront bien des péplum, de Quo Vadis à Gladiator. Âmes sensibles s’abstenir. C’est très sanguinolent.
Cette précision photographique, méprisée par certains de ses contemporains comme Baudelaire (« L'érudition a pour but de déguiser l'absence d’imagination »), donne l’illusion du vrai, mais au détriment parfois d’un certain réalisme historique.
Attention - SPOILER ALERT.
Ce qui va suivre risque bien de réduire à néant un cliché bien ancré dans votre imaginaire. Traumatisme en vue. Aussi violent que la révélation de l’Empire contre-attaque.
Dernière chance. Vous ne verrez plus jamais Gladiator de la même façon.
La gestuelle du pouce (pouce levé pour la vie sauve, pouce baissé pour la mise à mort) est une pure invention de Gérôme…
Quelques sources latines mentionnent bien un pouce « tourné » (Juvenal, Pline l’Ancien), mais sans plus de précision. Impossible de connaître avec exactitude le geste qui motivait l'exécution. C’est pourtant la proposition du peintre, devenue passage obligé de bien des péplums, qui a imprégné notre imaginaire. Un succès populaire jamais démenti jusqu’à aujourd'hui.
A jeudi.
Teaser: One-Wave-Shaw
PS: Et si vous souhaitez découvrir ou redécouvrir les héros bodybuildés des péplums, allez faire un tour du côté de chez Arte: Gladiateur, glaive et fantasmes, tout un programme.
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